Il y a des génies qui changent la trajectoire de la science avec leurs idées disruptives et leur esprit avant-gardiste. William Grey Walter était l’un d’eux. Né le 19 février 1910 à Kansas City, dans le Missouri, et décédé le 6 mai 1977 à Clifton, dans la banlieue de Bristol au Royaume-Uni, ce neurophysiologiste britannique d’origine américaine a marqué la cybernétique, la neurophysiologie clinique et la robotique de son empreinte indélébile.
Walter est le plus célèbre pour avoir conçu des « robots tortues », surnommés les tortues de Bristol. À une époque où l’intelligence artificielle n’en était qu’à ses balbutiements, Walter a eu la vision de créer des machines capables de simuler un comportement autonome et d’imiter le fonctionnement du cerveau humain.
C’est à la fin des années 1940, au sein du Burden Neurological Institute, que Walter a commencé ses recherches pionnières. Initialement intéressé par les mécanismes des actes réflexes simples, il a rapidement cherché à comprendre comment des comportements plus complexes pouvaient émerger des connexions nerveuses. C’est dans ce contexte qu’il a créé deux prototypes de « tortues » qu’il a baptisés « Elsie » et « Elmer ». Ces tortues de Bristol n’étaient pas de simples jouets mais de véritables outils scientifiques. Ces robots, dotés d’une forme rudimentaire d’intelligence artificielle, étaient capables de se déplacer en réagissant à des stimulations lumineuses et sonores. Ils étaient équipés d’un système d’identification de la lumière avec le son, simulant le réflexe conditionné, une caractéristique jusqu’alors exclusivement associée aux êtres vivants. Ces tortues ont créé un précédent, étant les premières machines à afficher un comportement adaptatif. En créant ces tortues, Walter a non seulement repoussé les limites de la science et de la technologie mais il a également ouvert la voie à l’émergence de la cybernétique et de la robotique telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Le renard électronique, élaboré par Albert Ducrocq et présent dans la collection de l’Institut des arts et métiers de Paris, ainsi que les robots présentés dans le film « La Cybernétique » de Jean-Marie Piquint, sont des descendants directs des tortues de Walter.
Les tortues de Bristol, bien que rudimentaires par rapport aux technologies actuelles, ont ouvert une ère nouvelle : celle où les machines pourraient commencer à « penser » et à « réagir » comme des êtres vivants. La contribution de Walter au domaine de la robotique et de l’intelligence artificielle est immense et, même après plusieurs décennies, son travail continue d’inspirer de nouvelles avancées dans ces domaines. L’héritage de Walter ne se limite pas à la création de ces tortues novatrices. Il a véritablement posé les jalons de la cybernétique moderne, une discipline qui fusionne la technologie et la biologie pour explorer les similitudes entre les systèmes vivants et mécaniques. En cherchant à comprendre comment les comportements complexes émergent des connexions nerveuses, Walter a posé des questions qui continuent de fasciner et de défier les scientifiques d’aujourd’hui. D’ailleurs, il est crucial de reconnaître l’impact de ses travaux sur notre monde contemporain. Chaque fois que nous interagissons avec une machine intelligente, chaque fois qu’une voiture autonome navigue dans le trafic, chaque fois qu’un algorithme de machine learning analyse des données pour prédire des tendances, nous assistons à l’héritage vivant de William Grey Walter. Ses « tortues » peuvent sembler primitives par rapport aux machines sophistiquées d’aujourd’hui, mais elles représentent une étape cruciale dans notre quête pour comprendre et reproduire l’intelligence. De même, les travaux de Walter sur l’homéostasie, le principe selon lequel un système tente de maintenir un équilibre constant malgré les perturbations extérieures, sont extrêmement pertinents dans notre monde numérique d’aujourd’hui. C’est une idée qui se retrouve dans tout, de la régulation de la température dans nos maisons intelligentes à la façon dont les réseaux de neurones artificiels apprennent et s’adaptent en réponse à de nouvelles informations.
Walter était convaincu que la véritable essence de la complexité comportementale réside dans la densité des liens intercellulaires, même au sein d’un nombre restreint de cellules cérébrales. Il soutenait que le mystère du fonctionnement cérébral se dévoilait en explorant sa topologie interne. À une époque où la majorité de ses pairs, y compris des esprits brillants comme Alan Turing et John Von Neumann, envisageaient les processus mentaux sous l’angle du calcul numérique, Walter plaidait pour une approche purement analogique pour simuler les activités du cerveau. Son œuvre a servi de tremplin à des chercheurs roboticiens de renom tels que Rodney Brooks, Hans Moravec et Mark Tilden, inspirant des avancées majeures dans leur travail.
Walter ne considérait pas le cerveau comme un simple dispositif numérique mais plutôt comme un réseau intriqué d’interconnexions analogiques. Selon lui, l’architecture complexe du cerveau et l’interconnexion de ses composants étaient essentielles à sa compréhension.
Malgré le fait que cette idée semblait en décalage avec les tendances dominantes de son époque, Walter a maintenu une vision progressiste qui a grandement influencé la génération suivante de chercheurs. Rodney Brooks, par exemple, a adopté cette philosophie en préconisant un modèle de robotique basé sur une structure distribuée où la complexité comportementale émerge de l’interaction de multiples comportements plus simples. Hans Moravec, lui aussi disciple de Walter, est salué pour ses travaux sur la perception et la navigation autonomes des robots : deux secteurs où la complexité des connexions entre les différentes parties du système est primordiale. Enfin, Mark Tilden, a apporté le concept de robotique BEAM, qui se nourrit de la biologie et repose sur des circuits électroniques robustes et simplifiés, une conception qui rappelle évidemment les premières « tortues » de Walter.
Ayons un regard ému sur cette vidéo d’ époque et remercions ce génie qu’était Walter pour son apport aux progrès de la science.